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Marché de l’emploi : renforcer l’attractivité des métiers du MCO-A dans un contexte caractérisé par une offre inédite (II de IV)

21 avril 2025 - Par Murielle Delaporte – Temps forts du cinquième panel du cycle de conférences AD2S intitulé « Le défi de l’emploi et du maintien des compétences dans le MCO Aéro »

 

Voici la seconde partie de cette serie de quatre articles.


Un marché national toujours en crise : « de la crise de l’offre à la pénurie d’avions »

 

Représentant le GIFAS – donc « 500 entreprises adhérentes, dont plus de 200 PME et, depuis 2022, un Club StartAir dédié aux Start ups » -, Philippe Dujaric a expliqué que l’emploi dans le domaine de la maintenance aéronautique découlait de la situation économique globale de la filière qu’il a qualifiée de « très bonne, mais complexe » : « en France, cette situation est inédite, parce que nous avons un carnet de commandes très élevé, que ce soit dans le secteur civil ou militaire, avec des obligations de livraison (…) et une pénurie d’avions : on parlait voici deux ans de crise de l’offre ; maintenant on parle vraiment de pénurie d’avions …» , s’est-il alarmé.


Les causes sont les suites du Covid et de la désorganisation de la « Supply chain » qui en a résulté, le conflit en Ukraine et les tensions d’approvisionnement au niveau international qui lui sont associées, ainsi qu’au niveau national, l’inflation, et la transition vers la décarbonation et de la « préparation des avions de la prochaine décennie » : « la situation des fournisseurs est donc extrêmement compliquée pour répondre à la demande des maîtres d’œuvre, tant civils que militaires, que ce soit en termes d’investissements financiers, matériels et – sujet de cette conférence – humains ».


Pour clore ce tableau général de la situation de la filière au niveau national, Philippe Dujaric a estimé qu’elle était « extrêmement positive et motivante », et ce d’autant plus que la France est en position de leader mondial sur de nombreux segments du marché jouissant d’une « industrie complète avec la première supply chain en Europe », mais a reconnu que rester compétitif passait par l’humain.


Il a souligné les efforts du GIFAS en la matière avec la promotion des métiers (avec, par exemple, l’initiative Air Emploi dès 2001(1)), car « monter en compétences dans notre domaine ne se fait pas comme cela, en claquant les doigts ». Attirer les bons profils a toujours été problématique, mais ce qui change aujourd’hui est la croissance d’emploi dans les secteurs aéronautique et spatial : « nous avons dépassé fin 2024 le niveau d’emploi d’avant la crise de près de 5 % sans avoir pour autant retrouver le même chiffre d’affaires, tandis qu’en 2023, nous avons battu tous les records de recrutement et d’apprentissage avec une augmentation de 7 % »(2). En 2024, le nombre d’emplois se montait à 218 000 personnes, dont 40% de jeunes (avec notamment 6 000 apprentis), ce qui n’est pas sans poser de problème d’acculturation à l’aéronautique.


Avec la création « de 4 000 emplois nets alors que le reste du pays est à l’arrêt en termes de création d’emplois », la filière aéronautique et spatiale se porte de bien, mais doit pouvoir s’appuyer sur le tissu économique national – notamment l’ensemble de l’industrie métallurgique : la réindustrialisation envisagée est, du point de vue de Philippe Dujaric cruciale, « car on ne pourra pas gagner tout seuls. Il nous faut une base industrielle chez nos sous-traitants… ».


En termes de catégories d’emplois, ce dernier fait un constat similaire à celui du général Devanlay et estime que, même si recruter des ingénieurs (environ 47% de l’ensemble), des experts cyber ou encore des spécialistes des métiers du digital n’est pas facile, il existe une véritable pénurie de compétences en ce qui concerne les niveaux BAC +1 ou BAC + 2. « L’aéronautique demeure un métier de techniciens (…) et c’est là que le bât blesse », a-t-il conclu.


Madame Roux a illustré les propos du GIFAS en développant l’expérience de Dassault Aviation, qui fait partie des « industriels ayant de beaux carnets de commande et devant renforcer en conséquence les effectifs ingénieurs et les effectifs compagnons ».


Dassault Aviation compte 10 000 personnes et recrute régulièrement depuis 2021 : « nous avons recruté 1 000 personnes par an au cours de ces deux dernières années, ce qui représente un renouvellement d’effectifs important ».


Pour la responsable RH, le même constat s’impose, à savoir une plus grande difficulté à recruter les compagnons niveau Bac Pro Aéronautique que les ingénieurs. La concurrence est rude car « nous recherchons tous les mêmes profils », tandis que l’offre est limitée : il s’agit en effet de « parcours peu sollicités ni par l’Education nationale, ni par les parents qui souhaitent que leurs enfants poursuivent leurs études : nombreux sont ainsi les BAC Pro qui poursuivent en BTS, puis peut-être en écoles d’ingénieurs. »


Pour Dassault Aviation, le premier défi est donc de recruter les 400 compagnons indispensables pour que les avions sortent des usines, le second défi étant celui de la transmission de compétences pour des « métiers techniques requérant beaucoup d’expertise ». L’effort de formation et d’acculturation important consenti par Dassault Aviation s’inscrit dans sa « tradition de compagnonnage » et la « mobilisation de tuteurs de manière conséquente ».


Afin de respecter les engagements pris dans le cadre des contrats verticalisés, Dassault Aviation travaille de conserve avec l’AAE pour proposer des « poursuites de deuxième carrière professionnelle », par exemple pour des postes d’assistants techniques dans des fonctions logistiques et de back office.



Nouvelle-Aquitaine et Gironde : un bassin d’emploi régional dynamique, mais des « freins périphériques » à surmonter


Le constat de France Travail effectué par Madame M’Bumu s’est également montré très positif, puisque, si le taux de chômage national était de 7,1% en septembre dernier, celui de Nouvelle-Aquitaine est de 6,6% et celui de Gironde de 6,7%. Les résultats ne sont donc pas loin de l’objectif de plein emploi de 5% : « nous sommes revenus à un taux de chômage aussi bas que celui connu avant la crise financière de 2008 ».


En Gironde, le nombre de salariés dans le secteur aéronautique a augmenté de 36% : il existe donc une « vraie tendance à la hausse », mais des obstacles demeurent à surmonter pour que le ratio entre offre d’emplois dans ce secteurs (10 500 offres en 2023 en Gironde) et demandeurs d’emplois (5 200 personnes) décroisse. La directrice de France Travail de Mérignac (une des 18 agences de Gironde) fait ainsi référence à ce qu’elle appelle les « freins périphériques », parmi lesquels se trouvent :

 

  • l’exclusion numérique (acquisition des compétences numériques de base) ;
  • la santé (accompagnement personnalisé, accès au droit et aux soins) ;
  • la mobilité, sachant que « les entreprises industrielles sont situées sur l’agglomération péri-urbaine », alors que le bassin de l’emploi concerne l’ensemble du territoire(3).

 

Il s’agit donc de donner les moyens aux demandeurs d’emplois éloignés des villes pour pouvoir accéder à ce type de postes via par exemple une politique d’aménagement du territoire plus en phase. Il s’agit aussi de travailler sur « la question de l’attractivité : comment travailler sur ces profils approchants, comment aller chercher des publics jeunes, moins jeunes, des publics en reconversion professionnelle… ».


Autre axe d’évolution mis en avant : la féminisation qui demeure très faible dans ce secteur d’activité, avec par exemple jusqu’à « 95% d’hommes dans les métiers d’ajusteur-monteur ».

Notes


(1) Airemploi, association emblématique de la promotion des métiers aéronautiques, fondé en 1999 à l’initiative du GIFAS, de la FNAM et d’Air France, devient Aérométiers en 2025.

(2) D’après le communiqué de presse du Gifas du 23 avril 2024, « 2023 a été une année très fortement créatrice d’emplois et a vu les effectifs de la profession s’élever à 210 000 hommes et femmes en France, un record ! (195 000 en 2022). La croissance des effectifs a été de 7% et les recrutements se sont élevés à 28 000 postes en 2023, 30% de femmes et l’embauche de 6 000 jeunes alternants. Les prévisions de recrutement pour 2024 sont de 25 000 à 30 000 embauches, dont 6 000 à 7 000 alternants. Le GIFAS a confirmé l’intensification de sa campagne de recrutement, « L’Aéro Recrute », pour l’industrie aéronautique et spatiale. » (voir >>> https://www.gifas.fr/news/2023-annee-de-la-reprise-pour-l-industrie-aeronautique-et-spatiale)

 

(3) Pour plus d’information, voir >>> https://www.francetravail.org/accueil/actualites/infographies/tous-mobilises-pour-lever-les-freins-a-lemploi.html

 

Photo © anelb.com, 2024